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sortie toute faite du cerveau de l’inventeur. Il est vrai que chacun d’eux veut être le Jupiter de cette Minerve ; il est vrai que chacun d’eux caresse son artifice et rêve de son ordre social. Mais il y a entre eux cela de commun, qu’ils ne reconnaissent dans l’humanité ni la force motrice qui la porte vers le bien, ni la force curative qui la délivre du mal. Ils se battent pour savoir à qui pétrira l’argile humaine ; mais ils sont d’accord que c’est une argile à pétrir. L’humanité n’est pas à leurs yeux un être vivant et harmonieux, que Dieu lui-même a pourvu de forces progressives et conservatrices ; c’est une matière inerte qui les a attendus, pour recevoir d’eux le sentiment et la vie ; ce n’est pas un sujet d’études, c’est une matière à expériences.

L’économie politique, au contraire, après avoir constaté dans chaque homme les forces d’impulsion et de répulsion, dont l’ensemble constitue le moteur social ; après s’être assurée que ce moteur tend vers le bien, ne songe pas à l’anéantir pour lui en substituer un autre de sa création. Elle étudie les phénomènes sociaux si variés, si compliqués, auxquels il donne naissance.

Est-ce à dire que l’économie politique est aussi étrangère au progrès social que l’est l’astronomie à la marche des corps célestes ? Non certes. L’économie politique s’occupe d’êtres intelligents et libres, et comme tels, — ne l’oublions jamais, — sujets à l’erreur. Leur tendance est vers le bien ; mais ils peuvent se tromper. La science intervient donc utilement, non pour créer des causes et des effets, non pour changer les tendances de l’homme, non pour le soumettre à des organisations, à des injonctions, ni même à des conseils ; mais pour lui montrer le bien et le mal qui résultent de ses déterminations.

Ainsi l’économie politique est une science toute d’observation et d’exposition. Elle ne dit pas aux hommes : « Je vous enjoins, je vous conseille de ne point vous trop appro-