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naturellement un tout parfait et solitaire, et que la volonté du législateur ait dû le transformer en fraction d’un plus grand tout. La famille, la commune, la nation, l’humanité sont des ensembles avec lesquels l’homme a des relations nécessaires. Il résulte de là que les actes et les habitudes de l’individu produisent, outre les conséquences qui retombent sur lui-même, d’autres conséquences bonnes ou mauvaises qui s’étendent à ses semblables. — C’est ce qu’on appelle la loi de solidarité, qui est une sorte de Responsabilité collective.

Cette idée de Rousseau, que le législateur a inventé la société, — idée fausse en elle-même, — a été funeste en ce qu’elle a induit à penser que la solidarité est de création législative ; et nous verrons bientôt les modernes législateurs se fonder sur cette doctrine pour assujettir la société à une Solidarité artificielle, agissant en sens inverse de la Solidarité naturelle. En toutes choses, le principe de ces grands manipulateurs du genre humain est de mettre leur œuvre propre à la place de l’œuvre de Dieu, qu’ils méconnaissent.

Constatons d’abord l’existence naturelle de la loi de Solidarité.

Dans le dix-huitième siècle, on n’y croyait pas ; on s’en tenait à la maxime de la personnalité des fautes. Ce siècle, occupé surtout de réagir contre le catholicisme, aurait craint, en admettant le principe de la Solidarité, d’ouvrir la porte à la doctrine du Péché Originel. Chaque fois que Voltaire voyait dans les Écritures un homme portant la peine d’un autre, il disait ironiquement : « C’est affreux, mais la justice de Dieu n’est pas celle des hommes. »

Nous n’avons pas à discuter ici le péché originel. Mais ce dont Voltaire se moquait est un fait non moins incontestable que mystérieux. La loi de Solidarité éclate en traits si nombreux dans l’individu et dans les masses, dans les dé-