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C’est donc à tort que quelques auteurs, dont l’opinion était influencée par le spectacle de taxes écrasantes et abusives, ont considéré comme perdue toute valeur consacrée aux services publics[1]. Cette condamnation tranchante ne soutient pas l’examen. En tant que perte ou gain, le service public ne diffère en rien, scientifiquement, du service privé. Que je garde mon champ moi-même, que je paye l’homme qui le garde, que je paye l’État pour le faire garder, c’est toujours un sacrifice mis en regard d’un avantage. D’une manière ou de l’autre je perds l’effort, sans doute, mais je gagne la sécurité. Ce n’est pas une perte, c’est un échange.

Dira-t-on que je donne un objet matériel, et ne reçois rien qui ait corps et figure ? Ce serait retomber dans la fausse théorie de la valeur. Tant qu’on a attribué la valeur à la matière, non aux services, on a dû croire que tout service public était sans valeur ou perdu. Plus tard, quand on a flotté entre le vrai et le faux au sujet de la valeur, on a dû flotter aussi entre le vrai et le faux au sujet de l’impôt.

Si l’impôt n’est pas nécessairement une perte, encore moins est-il nécessairement une spoliation[2]. Sans doute,

  1. « Du moment que cette valeur est payée par le contribuable, elle est perdue pour lui ; du moment qu’elle est consommée par le gouvernement, elle est perdue pour tout le monde et ne se reverse point dans la société. » (J.-B. Say, Traité d’économie politique, liv. III, chap. ix, p. 504.)

    Sans doute ; mais la société gagne en retour le service qui lui est rendu, la sécurité, par exemple. Du reste, Say rétablit, quelques lignes plus bas, la vraie doctrine en ces termes :

    « Lever un impôt, c’est faire tort à la société, tort qui n’est compensé par aucun avantage, toutes les fois qu’on ne lui rend aucun service en échange. »

    (Ibidem.)
  2. « Les contributions publiques, même lorsqu’elles sont consenties par la nation, sont une violation des propriétés, puisqu’on ne peut prélever des valeurs que sur celles qu’ont produites les terres, les capitaux et l’industrie des particuliers. Aussi, toutes les fois qu’elles excèdent la somme indispensable pour la conservation de la société, il est permis de les considérer comme une spoliation. » (Ibidem.)

    Ici encore la proposition incidente corrige ce que le jugement aurait de trop absolu. La doctrine que les services s’échangent contre les services simplifie beaucoup le problème et la solution.