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Rousseau avait caché le mot imposture. On va le voir maintenant recourir à un trait d’éloquence pour faire passer la conclusion de tout son livre, l’esclavage.

« Vos durs climats vous donnent des besoins, six mois de l’année la place publique n’est pas tenable ; vos langues sourdes ne peuvent se faire entendre en plein air, et vous craignez bien moins l’esclavage que la misère. »

« Vous voyez bien que vous ne pouvez être libres. »

« Quoi ! la liberté ne se maintient qu’à l’appui de la servitude ? Peut-être. »

Si Rousseau s’était arrêté à ce mot affreux, le lecteur eût été révolté. Il fallait recourir aux déclamations imposantes. Rousseau n’y manque pas.

« Tout ce qui n’est point dans la nature (c’est de la société qu’il s’agit) a ses inconvénients, et la société civile plus que tout le reste. Il y a des positions malheureuses où l’on ne peut conserver sa liberté qu’aux dépens de celle d’autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre que l’esclave ne soit extrêmement esclave. Pour vous, peuples modernes, vous n’avez point d’esclaves, mais vous l’êtes ; vous payez leur liberté de la vôtre… Vous avez beau vanter cette préférence, j’y trouve plus de lâcheté que d’humanité. »

Je le demande, cela ne veut-il pas dire : Peuples modernes, vous feriez bien mieux de n’être pas esclaves et d’en avoir.

Que le lecteur veuille bien excuser cette longue digression, j’ai cru qu’elle n’était pas inutile. Depuis quelque temps, on nous représente Rousseau et ses disciples de la Convention comme les apôtres de la fraternité humaine. — Des hommes pour matériaux, un prince pour mécanicien, un père des nations pour inventeur, un philosophe par-dessus tout cela, l’imposture pour moyen, l’esclavage pour résultat ; est-ce donc là la fraternité qu’on nous promet ?

Il m’a semblé aussi que cette étude du Contrat social était