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nable un principe universel, éternel, que Dieu a évidemment préposé à la conservation et à l’avancement de l’humanité ; principe, j’en conviens, qui, en tant que mobile, ne parle pas à notre cœur, mais qui, par ses résultats, étonne et satisfait notre intelligence ; principe, d’ailleurs, qui laisse le champ parfaitement libre aux autres mobiles d’un ordre plus élevé, que Dieu a mis aussi dans le cœur des hommes.

Mais sait-on ce qui arrive ? C’est que le public des socialistes ne prend de leur axiome que la moitié, la dernière moitié, tous pour chacun. On continue comme devant à travailler pour soi, mais on exige en outre que tous travaillent aussi pour soi.

Et cela devait être. Lorsque les rêveurs ont voulu changer le grand ressort de l’activité humaine, pour substituer la fraternité à l’individualisme, qu’ont-ils imaginé ? Une contradiction doublée d’hypocrisie. Ils se sont mis à crier aux masses : « Étouffez dans votre cœur l’intérêt personnel et suivez nous ; vous en serez récompensés par tous les biens, par tous les plaisirs de ce monde. » Quand on essaye de parodier le ton de l’Évangile, il faut conclure comme lui. L’abnégation de la fraternité implique sacrifice et douleur. « Dévouez-vous, » cela veut dire : « Prenez la dernière place, soyez pauvre et souffrez volontairement. » Mais sous prétexte de renoncement, promettre la jouissance ; montrer derrière le sacrifice prétendu le bien-être et la richesse ; pour combattre la passion, qu’on flétrit du nom d’égoïsme, s’adresser à ses tendances les plus matérielles, — ce n’était pas seulement rendre témoignage à l’indestructible vitalité du principe qu’on voulait abattre, c’était l’exalter au plus haut point, tout en déclamant contre lui ; c’était doubler les forces de l’ennemi au lieu de le vaincre, substituer la convoitise injuste à l’individualisme légitime, et malgré l’artifice de je ne sais quel jargon mystique,