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Chez l’une de ces nations, il y aura beaucoup de professeurs ; chez l’autre, beaucoup de cuisiniers.

Dans l’une et dans l’autre les services échangés peuvent être égaux en somme, et par conséquent représenter des valeurs égales, la même richesse relative, mais non la même richesse absolue. Cela ne veut pas dire autre chose, si ce n’est que l’une emploie bien son travail et l’autre mal.

Et le résultat, sous le rapport des satisfactions, sera celui-ci : l’un de ces peuples aura beaucoup d’instruction, l’autre fera de bons repas. Les conséquences ultérieures de cette diversité de goûts auront une très-grande influence, non-seulement sur la richesse réelle, mais même sur la richesse relative ; car l’instruction, par exemple, peut développer des moyens nouveaux de rendre des services, ce que les bons repas ne peuvent faire.

On remarque, parmi les nations, une prodigieuse diversité de goûts, fruit de leurs précédents, de leur caractère, de leurs convictions, de leur vanité, etc.

Sans doute, il y a des besoins si impérieux, par exemple celui de boire et de manger, qu’on pourrait presque les considérer comme des quantités données. Cependant il n’est pas rare de voir un homme se priver de manger à sa faim pour avoir des habits propres, et un autre ne songer à la propreté des vêtements qu’après avoir satisfait ses appétits. — Il en est de même des peuples.

Mais une fois ces besoins impérieux satisfaits, tout ce qui est au delà dépend beaucoup plus de la volonté ; c’est affaire de goût, et c’est dans cette région que l’empire de la moralité et du bon sens est immense.

L’énergie des divers désirs nationaux détermine toujours la quantité de travail que chaque peuple prélève sur l’ensemble de ses efforts pour satisfaire chacun de ses désirs. L’Anglais veut avant tout être bien nourri. Aussi consacre-t-il une énorme quantité de son travail à produire des