Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on a pu en calculer la portée avec tant de précision.

Aussi, quand un homme prend un état, une profession, quand il se met à produire, de quoi se préoccupe-t-il ? Est-ce de l’utilité de la chose qu’il produit, de ses résultats bons ou mauvais, moraux ou immoraux ? — Pas du tout ; il ne pense qu’à sa valeur : c’est le demandeur qui regarde à l’utilité. L’utilité répond à son besoin, à son désir, à son caprice. La valeur, au contraire, ne répond qu’à l’effort cédé, au service transmis. C’est seulement lorsque, par l’échange, l’offreur devient demandeur à son tour, que l’utilité l’intéresse. Quand je me décide à faire des souliers plutôt que des chapeaux, ce n’est pas que je me sois posé cette question : Les hommes ont-ils plus d’intérêt à garantir leurs pieds que leur tête ? Non ; cela regarde le demandeur et détermine la demande. — La demande, à son tour, détermine la Valeur ou l’estime en laquelle le public tient le service. — La valeur, enfin, décide l’effort ou l’offre.

De là résultent des conséquences morales très-remarquables. Deux nations peuvent être également pourvues de valeurs, c’est-à-dire de richesses relatives (Voir chap. VI), et très-inégalement pourvues d’utilités réelles, de richesses absolues ; cela arrive quand l’une forme des désirs plus déraisonnables que l’autre, quand celle-ci pense à ses besoins réels, et que celle-là se crée des besoins factices ou immoraux.

Chez un peuple peut dominer le goût de l’instruction, chez l’autre celui de la bonne chère. En ce cas, on rend service au premier quand on a quelque chose à lui enseigner ; au second, quand on sait flatter son palais.

Or les hommes rémunèrent les services selon l’importance qu’ils y attachent. S’ils n’échangeaient pas, ils se rendraient le service à eux-mêmes ; et par quoi seraient-ils déterminés, si ce n’est par la nature et l’intensité de leurs désirs ?