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cette distinction quand elles s’adressent aux assemblées législatives. On les voit alors demander le monopole ou la liberté selon qu’il s’agit de la chose qu’elles vendent ou de la chose qu’elles achètent.

Sans donc nous arrêter à la fin de non-recevoir des protectionistes, reconnaissons que, dans l’ordre social, la séparation des occupations a fait à chacun deux situations assez distinctes pour qu’il en résulte un jeu et des rapports dignes d’être étudiés.

En général, nous nous adonnons à un métier, à une profession, à une carrière ; et ce n’est pas à elle que nous demandons directement les objets de nos satisfactions. Nous rendons et nous recevons des services ; nous offrons et demandons des valeurs ; nous faisons des achats et des ventes ; nous travaillons pour les autres, et les autres travaillent pour nous : en un mot, nous sommes producteurs et consommateurs.

Selon que nous nous présentons sur le marché en l’une ou l’autre de ces qualités, nous y apportons un esprit fort différent, on peut même dire tout opposé. S’agit-il de blé, par exemple, le même homme ne fait pas les mêmes vœux quand il va en acheter que lorsqu’il va en vendre. Acheteur, il souhaite l’abondance ; vendeur, la disette. Ces vœux ont leur racine dans le même fond, l’intérêt personnel ; mais comme vendre ou acheter, donner ou recevoir, offrir ou demander, sont des actes aussi opposés que possible, il ne se peut pas qu’ils ne donnent lieu, en vertu du même mobile, à des vœux opposés.

Des vœux qui se heurtent ne peuvent pas coïncider à la fois avec le bien général. J’ai cherché à faire voir, dans un autre ouvrage[1], que ce sont les vœux que font les hommes en qualité de consommateurs qui s’harmonisent avec l’inté-

  1. Sophismes économiques, chapitre i, tome IV, page 5.