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rales, je ne me livrerai pas à de longues dissertations. Je me bornerai à signaler quelques faits qui, pour être un peu vulgaires, n’en sont pas moins importants.

Rousseau a dit : « Il faut beaucoup de philosophie pour observer les faits qui sont trop près de nous. »

Tels sont les phénomènes sociaux au milieu desquels nous vivons et nous nous mouvons. L’habitude nous a tellement familiarisés avec ces phénomènes, que nous n’y faisons plus attention, pour ainsi dire, à moins qu’ils n’aient quelque chose de brusque et d’anormal qui les impose à notre observation.

Prenons un homme appartenant à une classe modeste de la société, un menuisier de village, par exemple, et observons tous les services qu’il rend à la société et tous ceux qu’il en reçoit ; nous ne tarderons pas à être frappés de l’énorme disproportion apparente.

Cet homme passe sa journée à raboter des planches, à fabriquer des tables et des armoires, il se plaint de sa condition, et cependant que reçoit-il en réalité de cette société en échange de son travail ?

D’abord, tous les jours, en se levant il s’habille, et il n’a personnellement fait aucune des nombreuses pièces de son vêtement. Or, pour que ces vêtements, tout simples qu’ils sont, soient à sa disposition, il faut qu’une énorme quantité de travail, d’industrie, de transports, d’inventions ingénieuses, ait été accomplie. Il faut que des Américains aient produit du coton, des Indiens de l’indigo, des Français de la laine et du lin, des Brésiliens du cuir ; que tous ces matériaux aient été transportés en des villes diverses, qu’ils y aient été ouvrés, filés, tissés, teints, etc.

Ensuite il déjeune. Pour que le pain qu’il mange lui arrive tous les matins, il faut que des terres aient été défrichées, closes, labourées, fumées, ensemencées ; il faut que les récoltes aient été préservées avec soin du pillage ; il