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Non-seulement on ne pourrait pas dire : La valeur est proportionnelle au travail, mais on ne pourrait pas dire davantage : La valeur tend à se proportionner au travail. Tout ce que nous avons dit dans les chapitres précédents de l’utilité gratuite, de la communauté progressive, serait chimérique. Il ne serait pas vrai que les services s’échangent contre les services, de telle sorte que les dons de Dieu se transmettent de main en main par-dessus le marché, jusqu’au destinataire qui est le consommateur. Chacun se ferait payer à tout jamais, outre son travail, la portion des forces naturelles qu’il serait parvenu à exploiter une fois ; en un mot, l’humanité serait constituée sur le principe du monopole universel, au lieu de l’être sur le principe de la Communauté progressive.

Mais il n’en est pas ainsi ; Dieu, qui a prodigué à toutes ses créatures la chaleur, la lumière, la gravitation, l’air, l’eau, la terre, les merveilles de la vie végétale, l’électricité et tant d’autres bienfaits innombrables qu’il ne m’est pas donné d’énumérer, Dieu, qui a mis dans l’individualité l’intérêt personnel qui, comme un aimant, attire toujours tout à lui, Dieu, dis-je, a placé aussi, au sein de l’ordre social, un autre ressort auquel il a confié le soin de conserver à ses bienfaits leur destination primitive : la gratuité, la communauté. Ce ressort, c’est la Concurrence.

Ainsi l’Intérêt personnel est cette indomptable force individualiste qui nous fait chercher le progrès, qui nous le fait découvrir, qui nous y pousse l’aiguillon dans le flanc, mais qui nous porte aussi à le monopoliser. La Concurrence est cette force humanitaire non moins indomptable qui arrache le progrès, à mesure qu’il se réalise, des mains de l’individualité, pour en faire l’héritage commun de la grande famille humaine. Ces deux forces qu’on peut critiquer, quand on les considère isolément, constituent dans leur ensemble, par le jeu de leurs combinaisons, l’Harmonie sociale.