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sa qualité et paye en conséquence. Si, de deux champs placés à côté l’un de l’autre et présentant les mêmes avantages de situation, l’un est une grasse alluvion, l’autre un sable, à coup sûr le premier vaudra plus que le second, encore que l’un et l’autre aient pu absorber le même capital ; et, à vrai dire, l’acquéreur ne s’inquiète en aucune façon de cette circonstance. Ses yeux sont fixés sur l’avenir et non sur le passé. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas ce que la terre a coûté, mais ce qu’elle rapportera, et il sait qu’elle rapportera en proportion de sa fécondité. Donc cette fécondité a une valeur propre, intrinsèque, indépendante de tout travail humain. Soutenir le contraire, c’est vouloir faire sortir la légitimité de l’appropriation individuelle d’une subtilité ou plutôt d’un paradoxe. »

— Cherchons donc la vraie cause de la valeur du sol.

Et que le lecteur veuille bien ne pas perdre de vue que la question est grave au temps où nous sommes. Jusqu’ici elle a pu être négligée ou traitée légèrement par les économistes ; elle n’avait guère pour eux qu’un intérêt de curiosité. La légitimité de l’appropriation individuelle n’était pas contestée. Il n’en est plus de même. Des théories, qui n’ont eu que trop de succès, ont jeté du doute dans les meilleurs esprits sur le droit de propriété. Et sur quoi ces théories fondent-elles leurs griefs ? précisément sur l’allégation contenue dans l’objection que je viens de poser. Précisément sur ce fait, malheureusement admis par toutes les écoles, que le sol tient de sa fécondité, de la nature, une valeur propre qui ne lui a pas été humainement communiquée. Or la valeur ne se cède pas gratuitement. Son nom même exclut l’idée de gratuité. On dit donc au propriétaire : Vous me demandez une valeur qui est le fruit de mon travail, et vous m’offrez en échange une autre valeur qui n’est le fruit ni de votre travail, ni d’aucun travail, mais de la libéralité de la nature.