Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/350

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Je me bornerai à faire observer que si M. Considérant porte la parole au nom des prolétaires, en vérité il est si accommodant qu’ils pourront se croire trahis. Quoi ! les propriétaires ont usurpé et la terre et tous les miracles de végétation qui s’y accomplissent ! ils ont usurpé le soleil, la pluie, la rosée, l’oxygène, l’hydrogène et l’azote, en tant du moins qu’ils concourent à la formation des produits agricoles, — et vous leur demandez d’assurer au prolétariat, en compensation, au moins autant de moyens de subsistance, pour un exercice d’activité donné, que cet exercice eût pu lui en procurer dans l’état primitif ou sauvage !

Mais ne voyez-vous pas que la propriété foncière n’a pas attendu vos injonctions pour être un million de fois plus généreuse ? car, enfin, à quoi se borne votre requête ?

Dans l’état primitif, vos quatre droits, pêche, chasse, cueillette et pâture, faisaient vivre ou plutôt végéter dans toutes les horreurs du dénûment à peu près un homme par lieue carrée. L’usurpation de la terre sera donc légitimée, d’après vous, si ceux qui s’en sont rendus coupables font vivre un homme par lieue carrée, et encore en exigeant de lui autant d’activité qu’en déploie un Huron ou un Iroquois. Veuillez remarquer que la France n’a que trente mille lieues carrées ; que, par conséquent, pourvu qu’elle entretienne trente mille habitants à cet état de bien-être qu’offre la vie sauvage, vous renoncez, au nom des prolétaires, à rien exiger de plus de la propriété. Or, il y a trente millions de Français qui n’ont pas un pouce de terre ; et dans le nombre il s’en rencontre plusieurs : président de la république, ministres, magistrats, banquiers, négociants, notaires, avocats, médecins, courtiers, soldats, marins, professeurs, journalistes, etc., qui ne changeraient pas leur sort contre celui d’un Yoway. Il faut donc que la propriété foncière fasse beaucoup plus que vous n’exigez d’elle. Vous lui demandez le droit au travail jusqu’à une limité déterminée,