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dernière puissance. Il ne serait pas plus exorbitant de dire : le vol, c’est la propriété ; le légitime est illégitime ; ce qui est n’est pas, etc. Il est probable que l’auteur de ce bizarre aphorisme a voulu saisir fortement les esprits, toujours curieux de voir comment on justifie un paradoxe, et qu’au fond ce qu’il voulait exprimer, c’est ceci : Certains hommes se font payer, outre le travail qu’ils ont fait, le travail qu’ils n’ont pas fait, s’appropriant ainsi exclusivement les dons de Dieu, l’utilité gratuite, le bien de tous. — En ce cas, il fallait d’abord prouver l’assertion, et puis dire : le vol, c’est le vol.

Voler, dans le langage ordinaire, signifie : s’emparer par force ou par fraude d’une valeur au préjudice et sans le consentement de celui qui l’a créée. On comprend comment la fausse économie politique a pu étendre le sens de ce triste mot, voler.

On a commencé par confondre l’Utilité avec la Valeur. Puis, comme la nature coopère à la création de l’utilité, on en a conclu qu’elle concourait à la création de la valeur, et on a dit : Cette portion de valeur, n’étant le fruit du travail de personne, appartient à tout le monde. Enfin, remarquant que la valeur ne se cède jamais sans rémunération, on a ajouté : Celui-là vole qui se fait rétribuer pour une valeur qui est de création naturelle, qui est indépendante de tout travail humain, qui est inhérente aux choses, et est, par destination providentielle, une de leurs qualités intrinsèques, comme la pesanteur ou la porosité, la forme ou la couleur.

Une exacte analyse de la valeur renverse cet échafaudage de subtilités, d’où l’on voudrait déduire une assimilation monstrueuse entre la Spoliation et la Propriété.

Dieu a mis des Matériaux et des Forces à la disposition des hommes. Pour s’emparer de ces matériaux et de ces forces, il faut une Peine ou il n’en faut pas. S’il ne faut aucune peine, nul ne consentira librement à acheter d’autrui,