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homme ne peut travailler honnêtement pour lui-même sans travailler en même temps pour tous. Et il est rigoureusement vrai de dire que toute atteinte portée à cet ordre merveilleux ne serait pas seulement de votre part un homicide, mais un suicide. L’humanité est une chaîne admirable où s’accomplit ce miracle, que les premiers chaînons communiquent à tous les autres un mouvement progressif de plus en plus rapide jusqu’au dernier.

Hommes de philanthropie, amants de l’égalité, aveugles défenseurs, dangereux amis de ceux qui souffrent attardés sur la route de la civilisation, vous qui cherchez le règne de la Communauté en ce monde, pourquoi commencez-vous par ébranler les intérêts et les consciences ? Pourquoi, dans votre orgueil, aspirez-vous à ployer toutes les volontés sous le joug de vos inventions sociales ? Cette Communauté après laquelle vous soupirez, comme devant étendre le royaume de Dieu sur la terre, ne voyez-vous pas que Dieu lui-même y a songé et pourvu ? qu’il ne vous a pas attendus pour en faire le patrimoine de ses enfants ? qu’il n’a pas besoin de vos conceptions ni de vos violences ? qu’elle se réalise tous les jours en vertu de ses admirables décrets ? que pour l’exécution de sa volonté, il ne s’en est rapporté ni à la contingence de vos puérils arrangements, ni même à l’expression croissante du principe sympathique manifesté par la charité ; mais qu’il a confié la réalisation de ses desseins à la plus active, à la plus intime, à la plus permanente de nos énergies, l’Intérêt personnel, sûr que celle-là ne se repose jamais ? Étudiez donc le mécanisme social, tel qu’il est sorti des mains du grand Mécanicien ; vous resterez convaincus qu’il témoigne d’une universelle sollicitude qui laisse bien loin derrière elle vos rêves et vos chimères. Peut-être alors, au lieu de prétendre refaire l’œuvre divine, vous vous contenterez de la bénir.

Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas de place sur cette terre