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ce calcul : Si nous empêchions les prolétaires de travailler pour les étrangers et d’en recevoir en échange des subsistances et des matières premières, ils seraient bien forcés de s’adresser à nous. Comme leur nombre croît sans cesse, et que la concurrence qu’ils se font entre eux est toujours plus active, ils se presseraient sur cette portion d’aliments et de matériaux qu’il nous resterait à exposer en vente, après avoir prélevé ce qui nous est nécessaire, et nous ne pourrions manquer de vendre nos produits à très-haut prix. En d’autres termes, l’équilibre serait rompu dans la valeur relative de leur travail et du nôtre. Ils consacreraient à nos satisfactions un plus grand nombre d’heures de labeur. Faisons donc une loi prohibitive de ce commerce qui nous gêne, et, pour l’exécution de cette loi, créons un corps de fonctionnaires que les prolétaires contribueront avec nous à payer.

Je vous le demande, ne serait-ce pas le comble de l’oppression, une violation flagrante de la plus précieuse de toutes les Libertés, de la première et de la plus sacrée de toutes les Propriétés ?

Cependant, remarquez-le bien, il ne serait peut-être pas difficile aux propriétaires fonciers de faire accepter cette loi comme un bienfait par les travailleurs. Ils ne manqueraient pas de leur dire :

« Ce n’est pas pour nous, honnêtes créatures, que nous l’avons faite, mais pour vous. Notre intérêt nous touche peu, nous ne pensons qu’au vôtre. Grâce à cette sage mesure, l’agriculture va prospérer ; nous, propriétaires, nous deviendrons riches, ce qui nous mettra à même de vous faire beaucoup travailler, et de vous payer de bons salaires. Sans elle nous serions réduits à la misère, et que deviendriez-vous ? L’île serait inondée de subsistances et de matériaux de travail venus du dehors, vos barques seraient toujours à la mer ; quelle calamité nationale ! L’abondance, il