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Chacun de ces Décius a un plan qui doit réaliser le bonheur de l’humanité, et tous ont l’air de dire que si nous les combattons, c’est parce que nous craignons ou pour notre fortune, ou pour d’autres avantages sociaux. Non ; nous les combattons, parce que nous tenons leurs idées pour fausses, leurs projets pour aussi puérils que désastreux. Que s’il nous était démontré qu’on peut faire descendre à jamais le bonheur sur terre par une organisation factice, ou en décrétant la fraternité, il en est parmi nous qui, quoique économistes, signeraient avec joie ce décret de la dernière goutte de leur sang.

Mais il ne nous est pas démontré que la fraternité se puisse imposer. Si même, partout où elle se manifeste, elle excite si vivement notre sympathie, c’est parce qu’elle agit en dehors de toute contrainte légale. La fraternité est spontanée, ou n’est pas. La décréter, c’est l’anéantir. La loi peut bien forcer l’homme à rester juste ; vainement elle essaierait de le forcer à être dévoué.

Ce n’est pas moi, du reste, qui ai inventé cette distinction. Ainsi que je le disais tout à l’heure, il y a dix-huit siècles, ces paroles sortirent de la bouche du divin fondateur de notre religion :

« La loi vous dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait.

« Et moi, je vous dis : Faites aux autres ce que vous voudriez que les autres fissent pour vous. »

Je crois que ces paroles fixent la limite qui sépare la Justice de la Fraternité. Je crois qu’elles tracent en outre une ligne de démarcation, je ne dirai pas absolue et infranchissable, mais théorique et rationnelle, entre le domaine circonscrit de la loi et la région sans borne de la spontanéité humaine.

Quand un grand nombre de familles, qui toutes, pour vivre, se développer et se perfectionner, ont besoin de tra-