Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/499

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crois que je puis vous en donner le secret. C’est la coutume dans ce pays que plus un homme est riche, moins il laisse au plus grand nombre de ses enfants. (Écoutez — et applaudissements.) Si un honnête fabricant de coton, ou un marchand, ou un imprimeur sur calicots, vient à amasser 20,000 ou 30,000 liv. st., il s’arrange ordinairement de manière à partager également cette somme entre ses enfants lorsqu’il quitte la terre. (Applaudissements.) Je ne sais vraiment comment un homme qui possède des sentiments naturels et une dose ordinaire d’honnêteté pourrait faire autrement. Mais plus un homme titré possède de propriétés, surtout si ces propriétés consistent en champs, plus il juge nécessaire que son fils aîné les possède toutes après lui. Le colonel Thompson, en donnant l’explication du fait, dit que l’intention de cet homme est de rendre une main assez forte pour contraindre le public à entretenir le reste de la famille. (Rires.) Or, vous savez que les familles aristocratiques se multiplient tout comme les familles des autres classes. (Rires.) Il y a d’abord un ou deux enfants autour de la table ; puis, — petit à petit, — il en vient six ou huit, ou dix ou douze, comme le bon Dieu les envoie. Tous ces enfants sont entretenus dans l’idée qu’ils souffriraient dans leur dignité, si on les voyait offrir quelque chose à vendre. Ils n’embrassent pas la carrière commerciale, ils suivent celle des emplois publics. (Rires.) Ils sont tellement pleins de patriotisme qu’ils ne veulent rien faire, si ce n’est consacrer leurs services à leurs concitoyens. Mais la pitance devient de jour en jour plus maigre. (Rires.) Les classes moyennes ont, de jour en jour, fourni un plus grand nombre d’hommes actifs, habiles et intelligents, qui sont venus faire concurrence aux membres de l’aristocratie, dans les services publics. La conséquence de ce fait était facile à prévoir. Comme dirait le colonel Thompson, il est arrivé que cette population a pressé sur les moyens de subsistance. (Rires.) Elle a besoin aujourd’hui d’une carrière plus large pour déployer son énergie, — qu’elle applique principalement à ne rien faire et à manger des taxes. (Rires et applaudissements.)

Songez qu’il s’est passé, depuis une trentaine d’années, des choses qui ont dû plonger dans le désespoir une portion consi-