Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/433

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courts intervalles ; mais si nous ne sommes point plongés dans la désolation, nous n’en devons aucune reconnaissance à la loi. Vous avez entendu dire et je le répète ici, qu’il y a une puissance, une puissance miséricordieuse qui, dans ses voies cachées, ne consulte pas les vues ignorantes et sordides des propriétaires du sol britannique ; c’est cette puissance infinie, qui voit au-dessous d’elle ces potentats qui siègent dans l’enceinte où s’élaborent les lois humaines, c’est cette puissance qui, déconcertant les projets des promoteurs de la loi-céréale, répand en ce moment sur le peuple d’Angleterre le bien-être et l’abondance. Nous apprenons quelquefois que l’esclave a fui loin du fouet et de la chaîne et qu’il a échappé à la sagacité de la meute lancée sur sa trace. Mais est-il jamais venu dans la pensée de personne de faire honneur de sa fuite et de sa sûreté à la clémence des maîtres ou à celle des dogues altérés de sang ? Est-il un homme qui osât dire que ce pays est redevable à la protection, à une clémence cachée au fond du système protecteur, s’il n’est point, à cette heure, accablé sous le poids du paupérisme, et si ses nobles et chères institutions ne sont pas menacées par la révolte de multitudes affamées ? La seconde chose que je veux rappeler, et qu’il ne faut pas perdre de vue un seul instant, c’est que cette loi a été imposée par la force militaire et par cette force seule (écoutez ! écoutez !), que, le jour où elle fut votée, on vit, dans cette terre de liberté, une garnison occuper l’enceinte législative ; que cette même police, cette même force armée, que nourrissent les contributions du peuple, fut employée à imposer, à river sur le front du peuple ce joug odieux, qui devait être à la fois et le signe de sa servitude et le tribut que lui coûte son propre asservissement. Dans nos villes, c’est encore la force, dans nos campagnes, c’est la fraude qui maintient cette loi. Le peuple ne l’a jamais demandée. On n’a jamais vu de pétitions au Parlement pour demander la disette. Jamais même le peuple n’a tacitement accepté une telle législation et, depuis l’heure fatale où elle fut promulguée, il n’a pas cessé un seul jour de protester contre son iniquité. Ce meeting ensanglanté, dont je parlais tout à l’heure, n’était qu’une protestation ; et depuis ce moment terrible jusqu’à celui où je parle, il s’est toujours rencontré des hommes, parmi les plus éclairés de cet empire et