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ses arguments pour maintenir le monopole des aliments) ; « j’ose dire que, grâce à nos machines, les manufacturiers de ce pays disposent d’une puissance de production capable de répondre à tous les besoins des contrées qui pourraient nous fournir du blé. » S’il en est ainsi, ce doit être en effet une puissance merveilleuse que celle qui peut accroître indéfiniment la production, sans exiger plus de travail humain. Je n’ai jamais ouï parler de machines, quelque ingénieuses qu’elles soient, qui se passent de la direction de l’homme, et qui, ayant produit jusqu’ici des résultats déterminés avec un travail humain déterminé, soient en état de doubler ces résultats sans réclamer l’intervention d’un travail additionnel. Mais admettons ce phénomène. Quel en est le remède ? Tant qu’il y aura des besoins à satisfaire, et que cette puissance de production sera le moyen d’atteindre ce but, on serait tenté de la considérer comme le don le plus précieux du ciel. — Mais admettant qu’elle soit funeste, quel en est le remède ? L’arrêter, l’anéantir. Nous avons un excédant de pouvoir producteur qu’il ne faut pas mettre en exercice. N’est-ce point un singulier état de choses qu’une immense puissance de production, que la création de choses utiles doivent être réprimées et forcées à l’inertie ? Eh quoi ! si nous voulions suivre les conséquences logiques de cette doctrine, à quelles absurdités ne nous conduirait-elle pas ? Elle nous induirait à remplacer une machine puissante par une machine moins puissante, et pourquoi pas diminuer aussi la puissance de la machine humaine qui met en œuvre toutes les autres ? Si les hommes travaillent trop, s’ils ont le pouvoir d’acheter du pain au dehors et l’audace de réclamer ce droit, eh bien, diminuez cette puissance, coupez-leur les bras et qu’ils ne travaillent désormais que dans des limites raisonnables qui satisfassent le système protecteur. Je m’imagine que nous serions quelque peu surpris si un voyageur nous racontait que, dans ses pérégrinations, il a vu un pays où tous les ouvriers avaient subi l’amputation de deux doigts, et notre étonnement ne diminuerait pas sans doute si un homme politique, — un représentant de cette métropole, ou qui aspire à l’être, disait : Je devine que ces hommes s’étaient rendus coupables de surproduction. (Rires.)