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sans tenir compte des consommateurs ni des autres branches de travail, ils comprendraient toute l’utilité des restrictions.

— Pourquoi donc me parlez-vous des consommateurs d’Énios ?

— Mais, à la longue, votre péage nuira aux industries mêmes que vous voulez favoriser ; car, en ruinant les consommateurs, vous ruinez la clientèle, et c’est la richesse de la clientèle qui fait la prospérité de chaque industrie.

— C’est encore là ce que vous objectent les libre-échangistes. Ils disent que vouloir développer une branche de travail par des mesures qui lui ferment les débouchés extérieurs, et qui, si elles lui assurent la clientèle du dedans, vont sans cesse affaiblissant cette clientèle, c’est vouloir bâtir une pyramide en commençant par la pointe.

— Monsieur le maire, vous êtes contrariant, je n’ai pas de compte à vous rendre, et je casse la délibération du conseil municipal d’Énios. »

Le maire reprit tristement le chemin de sa commune, en maugréant contre les hommes qui ont deux poids et deux mesures, qui soufflent le chaud et le froid, et croient très-sincèrement que ce qui est vérité et justice dans un cercle de cinq mille hectares, devient mensonge et iniquité dans un cercle de cinquante mille lieues carrées. Comme il était bonhomme au fond : J’aime mieux, se dit-il, la loyale opposition du régent de la commune, et je révoquerai sa destitution.

En arrivant à Énios, il convoqua le conseil pour lui annoncer d’un ton piteux sa triste déconvenue. Mes amis, dit-il, nous avons tous manqué notre fortune. M. le préfet, qui vote chaque année des restrictions nationales, repousse les restrictions communales. Il casse votre délibération et vous livre sans défense à la concurrence étrangère. Mais il nous reste une ressource. Puisque l’inondation des pro-