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J’étais tenté de lui envoyer une pierre dans le dos, quand j’aperçus un second voyageur qui venait vers nous. — Je l’accostai le plus poliment du monde, et lui dis : Brave homme, nous sommes désorientés. Dites-nous si, pour rentrer à Bayonne, il faut marcher par ici ou par là. — Ce n’est pas la question, nous dit-il : l’essentiel est de ne pas franchir la distance qui vous sépare de Bayonne, d’un seul bond et sans transition. Cela ne serait pas sage, et vous risqueriez de vous casser le nez. — Monsieur, lui dis-je, c’est vous qui n’êtes pas dans la question. Quant à notre nez, vous y prenez trop d’intérêt. Soyez sûr que nous y veillerons nous-mêmes. Cependant, avant de nous décider à marcher vite ou lentement, il faut bien que nous sachions de quel côté il faut marcher. — Mais le maroufle insistant : Marchez progressivement, nous dit-il, et ne mettez jamais un pied devant l’autre sans avoir bien réfléchi aux conséquences. Bon voyage. — Ce fut heureux pour lui qu’il y eût du plomb de loup dans mon fusil ; s’il n’y eût eu que de la grenaille, franchement, j’aurais criblé au moins la croupe de sa monture.

— Pour punir le cavalier. Ô justice distributive !

— Survint un troisième voyageur. Il avait l’air grave et posé. J’en augurai bien, et lui adressai ma question : De quel côté est Bayonne ? — Chasseur diligent, me dit-il, il faut distinguer entre la théorie et la pratique. Étudiez bien la configuration du sol, et si la théorie vous dit que Bayonne est vers le bas, marchez vers le haut.

— Mille bombes ! m’écriai-je, avez-vous tous juré ?…

— Ne jurez pas vous-même. Et dites-moi quel parti vous prîtes.

— Celui de suivre la première moitié du dernier conseil. Nous examinâmes l’écorce des bruyères, la pente des eaux. Une fleur nous mit d’accord. Vois, dis-je à Eugène, elle a coutume de se pencher vers le soleil