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dîner d’aujourd’hui sous prétexte que quand je l’aurai mangé, il n’en resterait plus rien. » Appliquée à un peuple, l’objection est de cette force. Elle revient à ceci : Sous le régime prohibitif, dans vingt ans la France aurait 40 millions d’habitants ; sous un régime libre, comme elle aurait joui de plus de bien-être, elle en aurait 50 millions, lesquels, au bout de ce terme, ne seraient pas individuellement plus riches.

Et compte-t-on pour rien 10 millions d’habitants de plus ; toutes les satisfactions que cela suppose, toutes les existences conservées, toutes les affections satisfaites, tous les désordres prévenus, toutes les existences allumées au flambeau de la vie ? Et est-on bien certain que ce bien-être dû à la réforme, le peuple eût pu trouver une autre manière de le dépenser plus morale, plus profitable au pays, plus conforme au vœu de la nature et de la Providence[1] ?

Messieurs, ainsi que je vous l’ai fait pressentir en commençant, je laisse de côté bien des considérations. Si, dans le petit nombre de celles que je vous ai présentées, et malgré le soin que j’ai mis à me renfermer dans mon sujet, il m’est échappé quelques paroles qui aient la moindre tendance à jeter quelque découragement ou quelque irritation dans les esprits, ce serait bien contre mon intention. Ma conviction est qu’il n’y a pas entre les diverses classes de la société cet antagonisme d’intérêts qu’on a voulu y voir. J’aperçois bien un débat passager entre celui qui vend et celui qui achète, entre le producteur et le consommateur, entre le maître et l’ouvrier. Mais tout cela est superficiel ; et, si on va au fond des choses, on découvre le lieu qui unit tous les ordres de fonctions et de travaux, qui est le bien que chacun retire de la prospérité de tous. Regardez-y bien, et vous verrez que c’est là ce qui prévaudra sur de vaines ja-

  1. V. tome VI chap. de la Population, des Harmonies.