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Faisant abstraction de ce funeste accident, comme on fait abstraction de la perte des récoltes, et appliquant à l’individu ce que la Presse dit de la nation, dira-t-on :

« C’est donc avec ses épargnes que le cordonnier solde ses achats et non avec son travail de chaque jour. Aussi qu’est-il arrivé ? L’activité de son atelier s’est ralentie, et une crise qui dure encore est venue peser sur toutes ses affaires.

Ce seul fait, qui est aussi visible que le jour, que personne n’osera contester, renverse toute la théorie de ceux qui soutiennent qu’il est indifférent pour un cordonnier de payer ses acquisitions avec de l’argent ou avec des souliers. Payer avec de l’argent, c’est diminuer dans l’intérieur de son ménage la masse des ressources disponibles. C’est accroître la difficulté des transactions, paralyser le travail, réduire les salaires de ses ouvriers ou même les renvoyer, nuire plus ou moins profondément à tous les intérêts. Payer avec des souliers, c’est au contraire fournir de nouveaux aliments au travail, créer des moyens d’utiliser les bras, répandre, avec les salaires, l’aisance et le bien-être dans la classe des ouvriers cordonniers. Il n’est donc pas vrai que ces deux modes d’échanges se ressemblent, ni qu’il n’y ait aucun intérêt pour un cordonnier à suivre celui-ci plutôt que celui-là. »

Tout cela est fort vrai ; mais dans le cas national comme dans l’hypothèse individuelle, il y a un fait primitif qu’on laisse dans l’ombre, dont on ne parle même pas, à savoir, la perte de la récolte et le bras cassé. Voilà la vraie calamité, source de toutes les autres. Il est véritablement illogique de n’en pas tenir compte quand on s’afflige de voir une nation exporter son numéraire, ou un artisan se défaire de ses écus ; car c’est la perte de la récolte et le bras cassé qui déterminent le procédé qu’on signale comme la