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l’œil. Aujourd’hui au moins nous pouvons nous livrer au sommeil.

… On parle d’un mouvement fait par quatre régiments espagnols sur notre frontière. Ils seront bien reçus.

Adieu.


Bayonne, le 5 août 1830.

Mon cher Félix, je ne te parlerai plus de Paris, les journaux t’apprennent tout ce qui s’y passe. Notre cause triomphe, la nation est admirable, le peuple va être heureux.

Ici l’avenir paraît plus sombre, heureusement la question se décidera aujourd’hui même. Je te dirai le résultat par apostille.

Voici la situation des choses. — Le 3 au soir, des groupes nombreux couvraient la place publique et agitaient, avec une exaltation extraordinaire, la question de savoir si nous ne prendrions pas sur-le-champ l’initiative d’arborer le drapeau tricolore. Je circulais sans prendre part à la discussion, ce que j’aurais dit n’aurait eu aucun résultat. Comme il arrive toujours, quand tout le monde parle à la fois, personne n’agit ; et le drapeau ne fut pas arboré.

Le lendemain matin, la même question fut soulevée, les militaires étaient toujours bien disposés à nous laisser faire ; mais, pendant cette hésitation, des dépêches arrivaient aux colonels et refroidissaient évidemment leur zèle pour la cause. L’un d’eux s’écria même devant moi que nous avions un roi et une charte, et qu’il fallait lui être fidèles, que le roi ne pouvait mal faire, que ses ministres étaient seuls coupables, etc., etc. On lui répondit solidement… mais tous ces retours à l’inertie me firent concevoir une idée, qu’à force de remuer dans ma tête, j’y gravai si fixement, que depuis je n’ai pensé et ne pense encore qu’à cela.