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carré ! Je suis en peine de savoir si tu as des dispositions pour l’état que tu embrasses. Je te connais beaucoup de justesse et de rectitude dans le jugement ; mais c’est la moindre des choses. Tu dois avoir l’élocution facile, mais l’as-tu aussi pure ? ton accent n’a pas dû s’améliorer à Toulouse, ni se perfectionner à Perpignan. Le mien est toujours détestable et probablement ne changera jamais. Tu aimes l’étude, assez la discussion. Je crois donc que tu dois à présent t’attacher surtout à l’étude des lois, car ce sont des notions que l’on n’apprend que par le travail, comme l’histoire et la géographie, — et ensuite à la partie physique de ta profession. Les grâces, les manières nobles et aisées, ce vernis, ce coup d’œil, cet avant-main, ce je ne sais quoi qui plaît, qui prévient, qui entraîne. C’est là la moitié du succès. Lis à ce sujet les Lettres de lord Chesterfield à son fils. C’est un livre dont je suis loin d’approuver la morale, toute séduisante qu’elle est ; mais un esprit juste comme le tien saura facilement laisser le mauvais et faire son profit du bon.

Pour moi, ce n’est pas Thémis, c’est l’aveugle Fortune que j’ai choisie, ou qu’on m’a choisie pour amante. Cependant, je dois l’avouer, mes idées sur cette déesse ont beaucoup changé. Ce vil métal n’est plus aussi vil à mes yeux. Sans doute il était beau de voir les Fabricius et les Curius demeurer pauvres, lorsque les richesses n’étaient le fruit que du brigandage et de l’usure ; sans doute Cincinnatus faisait bien de manger des fèves et des raves, puisqu’il aurait dû vendre sa patrie et son honneur pour manger des mets plus délicats ; mais les temps sont changés. — À Rome la fortune était le fruit du hasard, de la naissance, de la conquête ; aujourd’hui elle n’est que le prix du travail, de l’industrie, de l’économie. Dans ce cas elle n’a rien que d’honorable. C’est un fort sot préjugé qu’on puise dans les colléges, que celui qui fait mépriser l’homme qui sait acquérir avec probité et