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Il ne m’a pas paru encore opportun de faire une ouverture à Cavaignac relativement à l’objet de votre lettre[1]. Le moment me semble mal choisi. Il faut attendre que les affaires d’Italie soient un peu éclaircies. Rien ne serait plus impopulaire en ce moment qu’une diminution dans l’armée. Tous les partis se réuniraient pour la condamner : les politiques, à cause de l’état de l’Europe ; les propriétaires et négociants, à cause des passions démagogiques. L’armée française est admirable de dévouement et de discipline. Elle est, pour le moment, notre ancre de salut. — Ses chefs les plus aimés sont au pouvoir et ne voudront rien faire qui puisse altérer son affection.

Quant à la marine, il n’est pas probable que la France entrerait dans une négociation qui aurait pour objet la réduction proportionnelle. Il faudrait que l’Angleterre allât plus loin, et je crains bien qu’elle n’y soit pas préparée. Je voudrais savoir au moins ce que l’on pourrait espérer d’obtenir.

L’esprit public, de ce côté du détroit, rend une négociation semblable extrêmement difficile, surtout avec l’Angleterre seule. Il faudrait tâcher de l’étendre à toutes les puissances.

C’est pourquoi je n’ai pas osé compromettre le succès, en demandant à Cavaignac une audience ad hoc. Je tâcherai de sonder ses idées occasionnellement et je vous les communiquerai.

Il est impossible de se proposer un plus noble but. J’ai vu avec plaisir que la Presse entre dans cette voie. Je vais tâcher d’y faire entrer aussi les Débats. Mais la difficulté est d’y entraîner les journaux populaires ; cependant je n’en désespère pas.

Adieu, je suis forcé de vous quitter.

  1. Il s’agissait d’une réduction simultanée dans les armements, en France et en Angleterre. (Note de l’éditeur.)