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MARGUERITE

vague soutenir lui disait que ce regard n’était pas celui d’un indifférent.

Quand la duchesse fut là, Marguerite ne songea plus qu’à elle, et c’était plaisir de voir son envieuse admiration pour cette royale beauté. La duchesse avait pris sa place habituelle sur un petit canapé entouré d’un paravent de fleurs. Le long d’un treillage d’or léger comme une résille grimpaient des plantes au feuillage sombre, aux grappes de toutes couleurs. C’était un fond de tableau charmant et qui convenait à merveille à cette belle tête si fière, rayonnante de jeunesse et de santé.

La duchesse avait posé ses pieds sur un pouff de velours rouge ; elle était à moitié assise et à moitié couchée, le coude appuyé sur le canapé et la joue appuyée sur la main. Rien n’était plus gracieux que cette attitude d’une nonchalance exquise chez cette femme d’un si majestueux aspect. Si le mot de félicité n’était pas très-niais on aurait pu dire que la duchesse ressemblait à ce que devait être la déesse de la Félicité. Ses regards exprimaient tant de confiance et tant de joie ! c’était une sécurité affable, un orgueil bienveillant qui prévenait tout de suite en sa faveur ; elle semblait dire par cette douce fierté : « Vous pensez bien qu’avec tous les avantages que j’ai, je ne puis en vouloir à personne. Qui pourrait l’emporter sur moi ? qui oserait même lutter avec moi ? Elle n’admettait pas même l’idée du combat ; elle n’admettait pas non plus le soupçon de l’indifférence. Si on fuyait son empire, ce n’était pas rébellion, c’était découragement ; si on s’occupait d’une autre femme… c’était par modestie ou par désespoir… Cette foi profonde dans sa puissance la rendait bonne, généreuse, charmante. Jamais un mauvais sentiment n’avait traversé son cœur ; elle était entourée de soins, elle vivait d’hommages, et comme elle avait toujours été nourrie d’encens, la fumée de l’encens ne l’enivrait pas ; car l’encens est un poison auquel on s’accoutume comme aux autres. Bien humbles sont les orgueilleux qui s’enivrent de son parfum ! ils avouent à leurs flatteurs qu’ils le respirent pour la première fois.

Madame d’Arzac avait beau chercher des sujets de critique, elle n’en trouvait point. La duchesse venait d’ôter ses gants. « Ah ! voyons sa main ! » pensa la pauvre mère, qui commen-