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OU DEUX AMOURS

— Il faut que tu le voies, cela vaut le voyage. Habille-toi vite et partons.

C’est ainsi que les choses se passent dans le monde ! On fait, en riant, un projet auquel on ne tient pas beaucoup ; on l’exécute par désœuvrement et sans y attacher d’importance ; c’est une fantaisie sans but, une visite sans conséquence, une idée qui est venue tout à coup ; on l’adopte aveuglément, on la suit au hasard, par caprice… et l’on s’en va gaiement, avec ses parents, ses amis, ceux qu’on aime le mieux et qui vous aiment le plus, jeter au loin la semence de son malheur éternel.

Il a bien raison, celui qui prétend qu’il n’est pas une de nos actions, pas même la démarche la plus insignifiante, qui ne laisse un germe dans notre existence, et qui, au bout de quelque temps, d’une année, de dix, de vingt années, ne finisse par porter son fruit.

Si on remontait le cours de sa vie, si on recherchait l’origine des événements les plus graves de son destin, on serait épouvanté de découvrir de quels petits incidents, de quelles niaiseries sont nés les faits les plus importants ; on en arriverait à ne plus oser remuer ni faire un pas, si on se rendait compte des grands ennuis que l’on doit aux visites les moins nécessaires, aux promenades les plus oiseuses… car la taquinerie du sort est telle que, plus le danger qui nous menace est terrible, plus ce qui le présage est serein. Il semble que le malheur proportionne ses menaces à notre insouciance. Il fait plus que les anciens, qui couronnaient de fleurs leurs victimes : quand il nous choisit pour victimes, il nous inspire à nous-mêmes l’idée de nous couronner de fleurs.



IV.

Cédant à cette cruelle inspiration, madame d’Arzac mit un chapeau orné d’épis et de bluets, et après avoir enveloppé dans un manteau la pâle convalescente, elle monta en voiture, et l’on partit pour le château de Bellegarde.