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M. DE PHILOMÈLE.

ombrageait un pavillon élégant ; là il resta plusieurs heures à méditer sur les vicissitudes de la vie.

Sous cet arbre se reposait un philosophe qu’une sympathique mélancolie y attirait. Ce philosophe était notre âne. Étendu sur l’herbe fleurie, il pensait… hélas ! — Jadis, il eût brouté ; mais ses illusions étaient passées.

Tous les deux, âne et rossignol, éprouvaient même tristesse, même ennui, même découragement ; je croirais volontiers qu’ils eussent tous deux envisagé le suicide sans horreur, tant leur spleen était profond.

Tandis qu’ils gémissaient ainsi, vint à passer un enfant suivi d’une belle jeune fille.

— Ma sœur, s’écria-t-il en rougissant de plaisir, un âne !… Et au même instant il courut vers le philosophe et lui fit mille gentilles caresses.

— Il n’a point de maître, dit l’enfant ; si nous l’emmenions ? Peut-être il s’est perdu. Il a l’air malade ! nous le soignerons. Oh ! je serais si heureux d’avoir un âne à moi !

— Emmenons-le, dit la jeune fille ; si son maître vient le réclamer, nous le lui rendrons.

L’enfant, tout joyeux, prit l’âne par la bride, lui baisa les oreilles tendrement, ces longues oreilles objet de dérision et de mépris, sauta sur son dos et s’éloigna, tout fier de sa conquête.

À peine avait-il fait quelques pas, que le rossignol, jaloux des succès qu’obtenait un âne, fit entendre sa douce voix.

— Mon frère, s’écria la jeune fille à son tour, un rossignol !…

Et elle aussi rougit de plaisir, peut-être même de souvenir.

Elle revint auprès de l’arbre, et le rossignol descendit de branche en branche jusqu’à elle.

— Il a une patte blessée, dit-elle avec compassion ; il ne pourra fuir, les éperviers le mangeront. Je vais l’emporter, je le mettrai dans une volière et j’en aurai bien soin. L’entends-tu, mon frère ? quelle voix délicieuse !

L’enfant, tout à son âne, n’écoutait pas ; rien pour lui ne valait un âne. Que lui importaient les beaux chants du rossignol ! le moindre galop valait mieux pour lui que toutes les roulades de Philomèle, et les rossignols ne galopent pas.