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M. DE PHILOMÈLE.

en phrases bienveillantes. — Vous devez être bien fatigué, disait-elle. Voulez-vous boire quelque chose ? Que votre voix est légère, qu’elle est flexible ! Que d’études il fous a fallu faire pour parvenir à chanter ainsi !

Elle avait beau le vanter, le rossignol voyait bien qu’il n’était pas compris : on flattait ses prétentions, mais on ne sentait pas son talent. On lui disait : « Votre voix est légère, » parce qu’il faisait des roulades et que cela faisait croire qu’il prétendait à la légèreté ; mais on ne s’inquiétait pas si ces roulades étaient bien ou mal faites. Et, d’ailleurs, dire à un rossignol : « Vous devez être bien fatigué ! » lui dont le métier est de chanter des nuits entières ! cela était révoltant, en vérité.

Tant que nul rival ne se mit sur les rangs, le poëte supporta son humiliation. Si une personne ne nous aime point, nous disons : Elle est froide ; mais si elle en aime un autre, nous crions à l’injustice. C’est ce que fit notre poëte quand le grand coq se mit à chanter ; sa voix glapissante retentit dans toute la cour, et ce fut un concert d’applaudissements : « Quelle méthode admirable ! quels beaux sons ! il est impossible de mieux chanter ! » Quant à ses vers, on les trouvait excellents.

Le rossignol n’y pouvait plus tenir : cette voix fausse lui faisait grincer les dents, ces éloges le révoltaient ; il était au supplice, et profitant du moment où tout le monde entourait son rival pour le complimenter, il prit sa canne et son chapeau, et s’envola désespéré.


CHAPITRE CINQUIÈME

RENCONTRE SINGULIÈRE.


Il voyagea quelques jours, indécis, ne sachant dans quel asile se réfugier ; la soif qu’il avait de briller lui faisait fuir ses égaux, ceux qui avaient autant de talent que lui ; le désespoir de n’être point compris lui faisait fuir ses inférieurs. Il ne savait plus que devenir.

Triste et mécontent, il alla se percher sur un arbre qui