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M. DE PHILOMÈLE.

Il dit, et s’envola vers le grand pigeonnier d’une ferme située à quelques lieues. Les poules étaient rentrées avant la nuit ; ces dames avaient craint l’air frais du soir : il les trouva toutes réunies dans le même salon. Elles l’accueillirent avec bienveillance, avec politesse, mais sans empressement.

— On ne sait pas encore qui je suis, pensa-t-il ; mais demain j’enverrai ma carte à la maîtresse de la maison, et je vois d’ici son étonnement, sa joie, quand elle apprendra mon nom : comme elle sera confuse d’avoir traité si légèrement la plus grande célébrité du siècle !

Le lendemain, il fit remettre chez les honorables poules qui l’avaient reçu la veille la carte sur laquelle était gravé son nom :

M. DE PHILOMÈLE,
Rossignol.

Il avait ajouté au crayon ce dernier mot, rossignol, dans la crainte d’être confondu avec quelque autre oiseau ; ce qui était peu probable, car le nom de Philomèle est fort connu.

Il resta deux jours sans essayer de nouvelles visites, afin de ne point paraître trop empressé et de n’avoir pas l’air d’un homme qui ne sait où passer la soirée.

Il attendait aussi quelques politesses de la part du maître de la maison ; mais le coq garda son rang, et le nom de M. de Philomèle ne produisit sur lui aucune impression.

Cependant, le troisième jour, maître rossignol fit sa toilette, se becqueta, secoua ses ailes, mit son gilet marron, ses gants blancs, et se rendit chez la respectable poule qu’il avait le projet de séduire. Or séduire, pour lui, voulait dire se faire admirer ; peu lui importait que la femme qui le vantait fût jeune ou vieille, belle ou laide : pour les vrais amateurs d’éloges, la flatterie n’a point d’âge ; l’encens a le même parfum, quelle que soit la main qui le brûle.