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L’ILE DES MARMITONS.

Les malheureux enfants (car le jeune pêcheur avait à peine quinze ans) furent ainsi ballottés toute la nuit. Ils se cramponnaient aux bancs de la chétive barque, et s’attendaient à chaque instant à être emportés par les vagues : leurs forces commençaient à les abandonner. Ils ne savaient plus dans quelle région ils se trouvaient ; un bruit faible annonçait pourtant un voisin rivage. — Nous allons périr, dit le pêcheur, nous sommes sur des rochers ! — Mais ses compagnons n’entendaient pas sa voix, que la voix de la tempête étouffait. Au même instant, la barque reçut un choc terrible et se brisa.

Santa Maria !… — Teresina !… — s’écrièrent les pauvres enfants.


CHAPITRE TROISIÈME.

ÉTRANGE MANIE D’UNE PRINCESSE.


Le lendemain, le soleil se leva pur et radieux, et rien n’aurait rappelé aux petits voyageurs leur mésaventure de la nuit, sans l’aspect bizarre de l’île fabuleuse où l’orage les avait jetés.

Cesaro, que les vagues avaient déposé sur le rivage, resta longtemps évanoui, et ne reprit ses sens que lorsque la chaleur du jour l’eut ranimé. Le pêcheur était déjà occupé à rattraper quelques débris de sa barque, qu’il espérait reconstruire avec le temps. Quant au gros joufflu, il fallut lui frapper longtemps dans les mains avant qu’il pût revenir de sa frayeur.

— Où sommes-nous ? demanda-t-il en revenant à lui.

— Par saint Janvier ! je n’en sais rien, reprit le pêcheur ; mais tout ce que j’ai vu jusqu’à présent n’annonce rien de bon ; et si vous m’en croyez, vous m’aiderez promptement à reconstruire cette barque, sinon…

— Quoi ! s’écria le joufflu, serions-nous chez des sauvages ?

— Ma foi, je le croirais ! Pas un seul pêcheur sur la plage : ces gens-là ne mangent pas de poissons, et quand on ne mange pas de poissons…

— On mange des hommes, n’est-ce pas ? Oh ! mon Dieu,