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MARGUERITE

— J’ai du chagrin ; répondit-il, et j’ai mal à la tête.

— Quel chagrin as-tu, mon enfant ?

— Vous le savez bien, vous m’aviez dit que vous ne vous marieriez jamais ! j’étais si content !

Et Gaston se mit à sangloter.

Marguerite le prit sur ses genoux et elle pleura avec lui en silence. Bientôt Gaston, qui était réellement souffrant, s’endormit, et Marguerite passa la soirée à caresser, à câliner le pauvre enfant. Elle rêvait, en admirant ses beaux yeux fermés dont les longs cils encore humides dessinaient leur ombre sur ses joues ; elle suivait la trace de ses pleurs que le sommeil avait séchés ; elle remarquait avec douleur la tristesse sérieuse de cette bouche enfantine ; elle pensait à celui qui avait sauvé la vie de cet enfant et qui l’aimait si tendrement, et ses larmes tombaient amères et brûlantes sur cette tête chérie ; si bien qu’au bout d’une heure les cheveux de Gaston étaient tout trempés de larmes.

Étienne surprit Marguerite dans ce muet désespoir dont il fut effrayé ; sa blessure était guérie ; il venait tous les jours chez madame de Meuilles. Marguerite s’empressa de le rassurer, en continuant à pleurer franchement. — Je suis bien malheureuse ! dit-elle ; ce vilain enfant ne veut pas être raisonnable ; depuis qu’il sait que nous allons nous marier, il ne fait que pleurer. Il ne veut plus ni manger ni jouer ; c’est désolant ! Tâchez donc de le rendre aimable.

— Je fais ce que je peux pour l’attendrir, reprit Étienne avec impatience ; mais on lui a dit tant de mal de moi, que tous mes efforts sont inutiles.

— Voulez-vous appeler pour qu’on l’emporte ? dit-elle ; il dort profondément.

— Je le porterai moi-même dans sa chambre.

Et Étienne prit l’enfant dans ses bras… Mais comment exprimer cela : on devinait, à sa manière de le tenir, de le regarder, de l’emporter, on devinait qu’il ne l’aimait pas ; il y avait dans ses soins quelque chose de gauche, de contraint, de maladroit, de froid, qu’on n’a pas quand on tient dans ses bras un enfant qu’on aime. Étienne avait l’air d’un passant complaisant qui transporte un enfant inconnu de l’autre côté d’un