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OU DEUX AMOURS

plutôt ma chère fille ! N’est-ce pas, Marguerite, que c’est bon de faire des heureux ?

Marguerite embrassa son oncle ; Étienne courut vers madame d’Arzac. Elle se tenait modestement dans un coin du salon, elle triomphait trop pour oser paraître. Étienne embrassa sa tante avec transport ; c’était un tableau de famille vraiment touchant. Tout le monde était content, excepté celle qui contentait tout le monde.



XX.

Madame d’Arzac ramena Marguerite chez elle ; mais à peine fut-elle seule avec elle, qu’une crainte vague l’agita. Toute sa joie était tombée ; entre la mère et la fille, il y avait une hostilité voilée qui ne se trahissait que par le silence. Madame d’Arzac, au comble de ses vœux, était tourmentée… Marguerite, au dernier degré de la soumission, était imposante. Madame d’Arzac, malgré le bon sens qui l’avait inspirée, malgré cette haute raison qu’elle croyait avoir déployée dans cette circonstance solennelle, sentait un remords naissant ; quelque chose lui disait qu’elle venait de signer la sentence de sa fille. Plus Marguerite était résignée, plus elle voyait son imprudence ; elle commençait à avoir peur de sa responsabilité ; et si Marguerite avait pu choisir un autre homme que M. de la Fresnaye, elle lui aurait rendu sa liberté à l’instant même ; mais elle détestait si affreusement cet homme ! Pouvait-elle jamais imaginer qu’un être ainsi détesté par elle dût faire le bonheur de sa fille !… Et pourtant, si elle avait été de sang-froid, elle aurait reconnu qu’elle ne haïssait de la sorte cet homme que parce que sa fille l’aimait trop.

Marguerite retrouva avec plaisir la solitude de sa maison. Pour la première fois de sa vie, la présence de sa mère la faisait souffrir. Elle avait agi comme une esclave, cédant à la volonté de celle-ci, à la prière de celui-là ; on lui rendait son libre arbitre ; on la laissait chez elle rêver, se souvenir, aimer : c’était un grand soulagement.