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OU DEUX AMOURS


XVIII.

— Les paris sont ouverts ! cinquante louis pour la Fresnaye ! La Fresnaye est favori, messieurs !

Et le baron de ***, en disant cela, posait sa tête sur un fauteuil et ses deux pieds sur la cheminée. C’était dans un des salons du Jockey-Club.

— Vous avez beau dire, Étienne a des chances, reprit le prince de G… en enfonçant son chapeau sur sa tête comme si le vent du salon allait le faire tomber. — L’usage, dans les clubs, c’est de garder son chapeau toujours ; cela signifie : Je suis ici chez moi et même plus que chez moi, je ne suis tenu à avoir de politesse pour personne.

Garder son chapeau est un des droits auxquels on tient le plus dans ces sortes d’associations ; même avec une migraine atroce, on garde son chapeau sur sa tête ; si, par hasard, on est seul un moment, on l’ôte ; mais, dès qu’il entre quelqu’un, vite on le remet : c’est un droit, et il ne faut pas, même pour une seconde, renoncer à exercer un droit. Ce principe est élémentaire.

— Je vous le dis, moi, reprit un troisième sportsman, Étienne est distancé ; il a beau rouler, rouler, il n’arrivera pas.

— C’est égal, moi, je tiens pour Étienne, et je vais boire un verre de chartreuse en son honneur.

Le prince de G… sonna.

— Moi, je crois la victoire indécise, dit un quatrième interlocuteur ; madame de Meuilles serait bien embarrassée de dire celui des deux qu’elle préfère.

— Vous les croyez manche à manche ?

Quatorze à !…, cria le marqueur de billard.

Et cet à-propos, qui ressemblait à la voix de l’oracle, fit rire tout le monde.

— Quatorze à !… répéta-t-on.

— Moi, je suis pour Étienne ; je l’ai vu, il y a deux jours, au bal avec madame de Meuiiles, et je vous assure qu’elle paraissait très-occupée de lui.