Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/456

Cette page a été validée par deux contributeurs.
450
MONSIEUR LE MARQUIS


XXI.

EST-CE BIEN ELLE ?


Pendant ce temps, Lionel causait avec Laurence, et il s’attristait de la trouver ainsi différente de ce qu’elle était.

— Vous me trouvez bien changée ? dit-elle.

— Oui, à mon désavantage, répondit-il en souriant. Est-ce que vous êtes seule à Paris, madame ?

— Moi ! certainement.

— Et madame votre tante ?

— Ma tante, elle est restée à Pontanges.

— Sans vous ? Elle doit bien s’ennuyer ?

— Horriblement ; j’ai reçu d’elle, ce matin, trois pages d’élégie.

— Et Clorinde ?

— Quoi ! vous vous souvenez de Clorinde ? dit madame de Pontanges en riant. Vous la trouviez si affreuse !

— Oui, alors ; mais maintenant, j’aime tout ce qui me rappelle le seul temps heureux de ma vie.

— Clorinde, continua Laurence sans paraître faire attention à cette dernière phrase, Clorinde est là-bas avec ma tante. Vous le voyez, j’ai suivi vos conseils, je me suis débarrassée de tous mes inconvénients. J’ai bien fait, n’est-ce pas ?

— Vous valiez mieux alors.

— Sans doute, mais on ne m’aimait pas ; au lieu que maintenant il ne tient qu’à moi de me croire adorée.

— Comme vous voilà légère ! Oh ! vous n’êtes plus la même. Cela est triste. Qui donc vous a gâtée ainsi ?

— Vous…

Laurence se repentit d’avoir dit cela ; il y avait un reproche dans ce mot : elle voulait rester indifférente. Elle continua :

— Vous, Paris, l’exemple, l’ennui d’une duperie continuelle, les avis de M. Dulac aussi, et puis le temps, qui nous ôte nos illusions ; que sais-je ? il s’est fait en moi une révolution : je vaux moins, mais je suis plus heureuse.

— Parce que vous avez oublié de plus doux moments.