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sous lui se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre. Son ombre eût pu encore gagner des batailles, et voilà que, dans son silence, son nom même nous anime ; et, ensemble, il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et n’arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre il faut encore servir le roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d’eau donné en son nom, plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu ; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant.

Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu’il a bien voulu mettre au rang de ses amis ? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu’il vous ait reçus, environnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières ; et admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d’un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien ; ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus ; et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d’exemple.

Pour moi, s’il m’est permis, après tous les autres, de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire : votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire ; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface. Vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C’est là que je vous verrai plus triomphant qu’à Fribourg et à Rocroy ; et, ravi d’un si beau triomphe, je dirai, en action de grâces, ces belles paroles du bien-aimé disciple : Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra (I Joan., V, 4) : La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c’est notre foi. Jouissez, prince, de cette victoire ; jouissez-en éternellement par l’immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d’une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours : au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte. Heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d’une voix qui tombe et d’une ardeur qui s’éteint.



ORAISON FUNÈBRE
de madame yolande de monterby,
abesse des religieuses bernadines de ***
[1].

La vie, estimable non par sa longueur, mais par l’usage que nous en faisons. Grandes vertus qui ont sanctifié les longues années de cette abbesse.

Ubi est, mors, victoria tua ?
Ô mort, où est ta victoire ?
(I Cor., XV, 55)

Quand l’Église ouvre la bouche des prédicateurs dans les funérailles de ses enfants, ce n’est pas pour accroître la pompe du deuil par des plaintes étudiées, ni pour satisfaire l’ambition des vivants par de vains éloges des morts. La première de ces deux choses est trop indigne de sa fermeté ; et l’autre, trop contraire à sa modestie. Elle se propose un objet plus noble dans la solennité des discours funèbres : elle ordonne que ses ministres, dans les derniers devoirs que l’on rend aux morts, fassent contempler à leurs auditeurs la commune condition de tous les mortels, afin que la pensée de la mort leur donne un saint dégoût de la vie présente, et que la vanité humaine rougisse en regardant le terme fatal que la Providence divine a donné à ses espérances trompeuses.

Ainsi n’attendez pas, Chrétiens, que je vous représente aujourd’hui ni la perte de cette maison, ni la juste affliction de toutes ces dames, à qui la mort ravit une mère qui les a si bien élevées. Ce n’est pas aussi mon dessein de rechercher bien loin dans l’antiquité les marques d’une très-illustre noblesse, qu’il me serait aisé de vous faire voir dans la race de Monterby, dont l’éclat est assez connu par son nom et ses alliances. Je laisse tous ces entretiens superflus pour m’attacher à une matière et plus sainte et plus fructueuse. Je vous demande seulement que vous appreniez de l’abbesse, très-digne et très vertueuse, pour laquelle nous offrons à Dieu le saint sacrifice de l’Eucharistie, à vous servir si heureusement de la mort qu’elle vous obtienne l’immortalité. C’est par là que vous rendrez inutiles tous les efforts de cette cruelle ennemie ; et que, l’ayant enfin désarmée de tout ce qu’elle semble avoir de terrible, vous lui pourrez dire avec l’Apôtre : Ô mort, où est ta victoire ? Ubi est, mors, victoria tua (I Cor., XV, 55) ? C’est ce que je tâcherai de vous faire entendre dans cette courte exhortation, où j’espère que le Saint-Esprit me fera la grâce de ramasser en peu de paroles des vérités très considérables que je puiserai dans les Écritures.

C’est un fameux problème, qui a été souvent agité dans les écoles des philosophes, lequel est le plus désirable à l’homme, ou de vivre jusqu’à l’extrême vieillesse, ou d’être promptement délivré des misères de cette vie. Je n’ignore pas, chrétiens, ce que pensent là-dessus la plupart des hommes. Mais comme je vois tant d’erreurs reçues dans le monde avec un tel applaudissement, je ne veux pas ici consulter les sentiments de la multitude, mais la raison et la vérité, qui seules doivent gouverner les esprits des hommes.

Et certes il pourrait sembler au premier

  1. Nous ignorons de quelle maison cette dame était abbesse : le manuscrit ne l’indique pas : et quelque recherche que nous ayons faite, nous n’avons rien pu découvrir de certain sur sa famille.