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pas. De tous les mortels, aucuns ne ressentent plus vivement mes bienfaits, et je n’en connais pas cependant qui consentent moins à l’avouer. J’ai bien pourtant quelques titres à leur reconnaissance. N’est-ce pas moi d’abord qui leur octroie cet amour-propre qui les porte au troisième ciel, d’où ils peuvent contempler avec bonheur le reste des mortels ramper sur la terre ? N’est-ce pas moi qui leur fournis ces définitions magistrales, ces conclusions, ces corollaires, ces propositions implicites et explicites, et tout cet attirail de guerre derrière lequel ils se retranchent avec tant d’adresse que les filets de Vulcain ne pourraient les enserrer ? Pas de maille si solide qu’elle puisse résister au tranchant de leurs distinguo ; ils trouvent des ressources incroyables dans des termes choisis à dessein et l’obscurité de leur langue. Il faut les entendre expliquer à leur fantaisie comment fut créé et achevé le monde ; par quels canaux le péché originel se répandit sur la postérité d’Adam ; à quel moment la Vierge engendra le Christ ; quelle participation elle y eut ; combien de temps elle le porta dans son sein ; ou mieux encore, comme quoi les accidents subsistent sans substance dans l’Eucharistie. Mais tout cela est bien rebattu ; voici d’autres questions plus dignes des grands théologiens, des illuminés, comme ils disent, et qui ont le privilège de faire dresser l’oreille aux plus blasés ; « Est-ce qu’il y a eu un instant dans la génération divine ?… — Doit-on admettre plusieurs générateurs dans le Christ ? — Cette proposition : Dieu le père hait son fils, est-elle possible ?