Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chez eux ; je n’en veux d’autre preuve que leurs interminables disputes. Ils ne savent rien et prétendent tout savoir ; ils s’ignorent eux-mêmes et ne voient ni la fosse ouverte à leurs pieds, ni le rocher qui se dresse devant eux ; leur vue est courte et leur esprit bat la campagne. Mais parlez-leur des idées, de universaux, des formes abstraites, de la nature première, des quiddités, des eccéités, ils verront à merveille toutes ces choses si ténues que Lyncée lui-même eût été bien empêché de les voir. Ils s’estiment bien au-dessus du vulgaire, parce qu’ils savent tracer des triangles, des cercles et autres figures géométriques ; les superposer les unes aux autres et les mêler en façon de labyrinthe, à moins qu’ils ne préfèrent disposer des lettres d’après un ordre convenu et les combiner de mille façons. Voilà par quels moyens ils en imposent aux ignorants. C’est parmi cette engeance que vous rencontrerez ces astrologues qui lisent l’avenir dans les astres et promettent des choses devant lesquelles les plus hardis magiciens reculeraient. Et dire qu’ils trouvent pourtant encore des gens plus fous qu’eux pour les croire !

Nous ferions peut-être bien de passer sous silence les théologiens ; il est imprudent de remuer ce ruisseau et de manier cette plante fétide. C’est une race irritable et qui n’entend pas raillerie. Il est à craindre qu’elle ne nous accable de mille conclusions, et qu’elle ne nous amène à chanter palinodie sous peine d’être taxés d’hérésie ; car ce n’est rien moins que la foudre que ces aimables gens lancent contre ceux qui ne les admirent