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ne parlerai ici que de leur ardeur à écrire des traités sur l’art de plaisanter. L’auteur, quel qu’il soit, du traité à Hérennius, compte la folie parmi les moyens de plaire ; et Quintilien, le prince du genre, a composé sur le rire un chapitre plus long que l’Iliade. Les rhéteurs ont raison de compter sur la folie comme moyen oratoire. Souvent, ce que nul argument n’aurait pu ébranler se trouve renversé par un éclat de rire excité à propos ; et l’art de faire rire est bien à moi, personne ne peut le contester.

Ils sont bien encore de la même farine, ces écrivassiers qui comptent arriver à l’immortalité en faisant des livres. Tous sont mes justiciables, et particulièrement ceux qui n’écrivent que des sottises. Quant à ces savants qui ne destinent leurs ouvrages qu’à un petit nombre d’érudits et redoutent l’œil perçant de la critique, je les trouve beaucoup plus à plaindre qu’à admirer. Leur vie n’est qu’une longue torture ; toujours ajouter, changer, retrancher, remettre, forger et reforger, travailler dix ans une œuvre pour n’en être pas satisfait, est-ce vivre ? Et qu’obtiennent-ils en retour ? L’approbation de deux ou trois connaisseurs ! Ils la payent bien cher au prix de leur sommeil, ce baume de la vie ; au prix de labeurs et de tourments infinis. Ils la payent bien cher, car ces labeurs délabrent leur santé, flétrissent leur visage, affaiblissent la vue quand ils ne la détruisent pas. Ce ne serait rien encore si l’envie ne les poursuivait, si les privations et la misère ne les accablaient, amenant après elles une vieillesse prématurée et bientôt la