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d’animaux innocents ont bien quelque valeur, il nous semble, à moins cependant qu’on n’aime mieux admettre que le tigre, le lion, le léopard, se rapprochent davantage de l’espèce humaine. Il est encore, je ne l’ignore pas, une autre sorte de flatterie hypocrite, dont la perfidie et l’ironie s’arment contre les malheureux ; mais celle qui m’est propre procède de la bienveillance et de la franchise, et est certainement plus voisine de la vertu que cette rudesse misanthrope qu’Horace flétrit si justement des épithètes de grossière et d’importune. C’est elle qui révèle l’âme abattue, charme la tristesse, ranime le découragement, éveille la stupidité, soulage la douleur, tempère la fierté, fait naître les amitiés et les rend durables ; c’est elle qui dérobe à l’enfance l’amertume de l’étude, rend la vieillesse supportable, et qui, sans les irriter, fait accepter aux princes des avis et des leçons. En un mot, la flatterie rend l’homme plus agréable et plus cher à lui-même, ce qui constitue la meilleure partie du bonheur auquel il peut prétendre.


Vous n’êtes pas sans avoir vu deux mulets se gratter réciproquement. Que de complaisance dans cette simple action ! Semblable réciprocité fait merveille entre honorables orateurs. La médecine, mais surtout la poésie, se prêtent divinement à cette pratique, qui contribue plus que toute autre à répandre quelque piquant et quelque douceur sur la vie. C’est un malheur d’être trompé, allez-vous m’objecter, et moi je vous réponds : c’est un malheur de ne l’être