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ment sur les lauriers de leurs ancêtres. La seule pensée de sa noblesse suffit au bonheur de Venise, et la Grèce, s’intitulant encore la mère des Lettres, met en avant la gloire un peu surannée de ses grands hommes. Les Turcs et les sauvages de leur espèce se prétendent les seuls vrais croyants et méprisent les chrétiens comme adonnés à des superstitions ; mais ils sont encore moins curieux que les Juifs, qui attendent patiemment leur Messie et s’en tiennent mordicus à Moïse. Les Espagnols sont fiers de leur valeur guerrière ; les Allemands de la solidité de leurs muscles et ils se piquent d’être plus profondément versés qu’hommes du monde dans les sciences occultes.

Mais nous pouvons nous arrêter ici ; je vous ai démontré aussi complétement que possible, il me semble, quelle somme de bonheur l’amour-propre répand sur les individus comme sur les masses. La Flatterie, sa sœur et compagne, lui ressemble fort ; avec cette différence toutefois que l’un se caresse lui-même, tandis que l’autre caresse autrui. Je sais bien qu’aujourd’hui la flatterie a perdu en partie son crédit près de certaines gens, qui s’attachent plus aux mots qu’aux choses ; parce que, si on les en croit, elle est incompatible avec la bonne foi. Mais il est facile de leur démontrer combien ils se trompent, ne fût-ce que par l’exemple des animaux. Connaît-on rien de plus flatteur qu’un chien, et pourtant y a-t-il rien de plus fidèle ? Est-il un être plus caressant et cependant plus ami de l’homme que l’écureuil ? Ces exemples tirés