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qu’il était assuré du concours de ses esclaves.

Où il fait surtout bon observer l’amour-propre, c’est près de ceux qui cultivent les beaux-arts ; plutôt que de douter de leur génie, ils renonceraient volontiers à leur patrimoine. Chez eux tous, mais surtout chez les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poëtes, l’orgueil, la jactance et la morgue sont en raison directe de l’ignorance. Ce qui ne les empêche pas de trouver chaussure à leurs pieds, car il ne faut jamais l’oublier, une chose a d’autant plus d’admirateurs qu’elle est plus inepte ; par l’excellente raison que la majorité des hommes se compose de fous. Donc si l’ignorance jouit du double privilége de plaire à chacun en particulier et d’attirer, en outre, l’admiration générale, à quoi bon viser au vrai savoir ; ce savoir qui coûte tant à acquérir, qui rend pédant et timide, et rencontre si peu d’appréciateurs ?

Il est remarquable que l’amour-propre n’est pas seulement le partage des individus, chaque nation, chaque ville en a sa dose spéciale. Les Anglais se font orgueil de leur beauté, de leur goût pour la musique et de la magnificence de leurs festins. Fiers de leur noblesse et de leur origine toujours royale, les Écossais se donnent avant tout pour les plus subtils dialecticiens du monde…

Le Français se réserve l’urbanité des mœurs ; le Parisien, les secrets de la théologie ; l’Italie prétend tenir le sceptre de la littérature et de l’éloquence, et traite de barbares tous les autres pays ; cette douce erreur berce surtout les Romains, qui dorment toujours agréable-