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temples, en trouvez-vous un seul qui ait été offert en reconnaissance de la guérison d’une folie ou de l’acquisition d’un grain de sagesse ? Point du tout. Là, c’est un naufragé qui s’est sauvé à la nage ; ici, un soldat qui a survécu à une affreuse blessure ; l’un, au fort de la bataille, laissant ses compagnons s’en tirer sans lui, a pris la fuite avec non moins de bonheur que de courage ; l’autre, déjà hissé à la potence, a pu, grâce à l’intervention d’un saint ami des gens de son métier, se soustraire si bien à la corde, qu’il a recommencé de plus belle à décharger les passants de l’excédant de leur monnaie. Celui-ci a forcé sa prison et s’est évadé ; celui-là, malgré son médecin, s’est remis de sa fièvre ; tout près, c’est un mari qui n’a trouvé dans le poison qui devait le tuer qu’un simple laxatif, au grand dam de sa femme, qui y a perdu ses peines et son argent ; plus loin, c’est un Phaéton qui, tout en versant son char, a cependant ramené sains et saufs ses chevaux à l’écurie ; son voisin de droite, pour avoir été enseveli sous des ruines, n’en est pas moins bien portant ; son voisin de gauche rend grâces de s’être tiré sans encombre des mains d’un mari qui l’a surpris. Tout cela est bel et bon ; mais il n’en est pas un seul qui remercie d’avoir été privé de sa folie ! Et c’est bien naturel, il est si doux de n’être pas sage, que de tous les biens, c’est le dernier que les mortels consentent à perdre !

Mais pourquoi m’aventurer sur cet océan des superstitions ? Non, comme dit Virgile ou à peu près, quand même j’aurais cent voix,