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mais pourquoi des trésors aux successeurs des pauvres apôtres ? — Avec de pareilles réflexions, il y aurait moins d’ambitieux qui aspireraient au chapeau ; on se soustrairait volontiers à un tel honneur, car, alors, les cardinaux vivraient cette vie agitée et laborieuse qu’ont vécue les apôtres.

Si les papes, ces vicaires de Jésus-Christ, modelaient leur vie sur celle de leur maître ; s’ils se proposaient pour exemple sa pauvreté, ses travaux, sa descente, ses souffrances, son détachement du monde, s’ils prenaient au sérieux ces titres de père et de sainteté qu’on leur donne ; quels mortels seraient plus à plaindre ? Qui voudrait acheter ce poste au poids de l’or, qui voudrait s’y maintenir par le fer, le poison ou la force ? Hélas ! de quels avantages se priveraient les pontifes, s’ils acquéraient un jour la sagesse, que dis-je, la sagesse, mais un seul grain de ce sel de sapience dont parle le christ ? Que deviendraient alors tout ce qui les entoure, les richesses, les honneurs, la puissance, les triomphes, les bénéfices, les revenus, les impôts, les indulgences et les plaisirs de toute espèce ? La liste est brève, vous le voyez, mais significative. Tout cela disparaîtrait pour faire place aux veilles, aux jeûnes, aux larmes, aux oraisons, aux prédications, aux études, à la pénitence, à mille autres mortifications de ce genre. Mais s’il en était ainsi, avez-vous songé à ce qu’on pourrait faire de tous ces scribes, tous ces notaires, tous cris avocats ; à quoi pourrait être bonne cette armée de promoteurs, de secrétaires, de muletiers, d’écuyers,