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s’écoulent pour lui, loin des préoccupations, les heures, les jours, les mois, les années et les siècles.

La vanité des courtisans va jusque-là qu’elle me fatigue. Ça ne doit étonner personne, avoir cette nymphe de cour se croire d’autant plus déesse que la queue de sa robe est plus longue ; à voir cet important se faire jour dans la foule, à coups de coude, pour arriver plus près de Jupiter ; à voir ce fat s’admirer de bonne foi à cause de la lourde chaîne qu’il s’est pendue au cou et qui témoigne presqu’autant de sa force que de son opulence !


Les princes ne sont pas seuls à mener joyeuse vie ; dans cette voie, les papes, les cardinaux, et les évêques se montrent leurs dignes émules, sinon leurs maîtres.

Vous voudriez peut-être aussi que tout ce monde-là ait sans cesse à l’esprit que ses blancs vêtements de lin l’avertissent de mener une vie sans tache ; que sa mitre à deux cornes réunies par un seul nœud signifie qu’il doit réunir la science du Nouveau et de l’Ancien Testament ; que les gants qui protègent ses mains sont l’emblème de son désintéressement dans les fonctions sacrées de son ministère ! Vous voudriez peut-être que ces dignitaires songeassent à cette crosse qui rappelle le pasteur veillant sur son troupeau ; à cette croix qu’il porte sur la poitrine comme symbole du renoncement aux passions ! — Mais si telles étaient leurs préoccupations habituelles, leur vie ne serait-elle pas une suite de tristesses