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sort. En effet, il doit sembler bien cher d’affecter le pouvoir au prix d’un parjure ou d’un parricide, à qui a exactement calculé combien pèse une couronne sur la tête d’un roi vraiment roi. Gouverner c’est veiller aux intérêts publics et négliger les siens. Le prince, auteur et exécuteur des lois, doit s’y montrer soumis tout le premier. Garant de l’intégrité des ministres et des magistrats, tout le monde a l’œil fixé sur lui ; par l’exemple de ses mœurs il peut à son gré, comme l’astre bienfaisant, répandre le bonheur sur la terre, ou, comme la comète funeste, semer partout la désolation et la ruine. Les vices d’un citoyen se perdent dans la foule sans causer grand dommage, ceux du prince, fussent-ils même légers, empoisonnent comme une contagion toute la république. Le prince est environné d’ennemis qui lui barrent le droit chemin, les plaisirs, la puissance, la flatterie, le luxe, contre lesquels il doit toujours être en garde, et, malgré tant de soins, il est encore trompé. Sans parler des embûches, des ennemis, des périls et des maximes qui menacent une tête couronnée, il est un roi immortel qui demande aux rois mortels compte de leurs moindres actions, et qui les juge d’autant plus sévèrement que leur règne a été entouré de plus de splendeurs.

Si les princes se préoccupaient de ces idées ou autres du même genre (mais il faudrait pour cela qu’ils fussent quelque peu sages), il n’y aurait pour eux, si je ne me trompe ; ni sommeil paisible, ni festins agréables. Mais heureusement je suis là, moi, la Folie, et je