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vaillent ces rhétoriciens ridicules, lorsqu’ils copient les procédés de l’art oratoire. Grands dieux ! Voyez-les gesticuler, changer mal à propos de ton, chanter, faire la roue, se grimer en un clin d’œil et ébranler le temple de leurs glapissements ! Cet art de dire est un secret que le moine transmet pieusement au moinillon. Bien qu’il ne me soit pas donné d’être initié complètement à d’aussi profonds mystères, je dois vous dire cependant ce qu’il m’en semble de plus probable.

D’abord l’orateur commence par une invocation à l’imitation des poëtes ; ensuite, s’il doit parler de charité, il ne manque pas de pêcher son exorde dans le Nil d’Égypte ; s’il s’agit des mystères de la Croix, il débute finement par quelques mots sur Bel, le dragon babylonien. Parle-t-il du carême, il prend son point de départ aux douze signes du Zodiaque ; de la foi, il prélude par quelques considérations sur la quadrature du cercle. J’ai entendu de mes propres oreilles un de ces maîtres fous… un de ces docteurs, voulais-je dire, il avait à parler, devant un auditoire choisi, du mystère de la Trinité. Voulant faire du neuf et flatter l’oreille des théologiens, il prit une voie nouvelle et ne trouva rien de mieux que de parler des lettres de l’alphabet, des syllabes et des parties du discours, puis, de la concordance du sujet et du verbe, de l’adjectif et du substantif. L’auditoire entier tombait des nues et se disait comme Horace :

Où veut-il en venir avec ces inepties ?