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lui la connaissance égale et approfondie du Nouveau et de l’Ancien Testament ; que les gants dont il couvre ses mains indiquent qu’il doit être pur de toute souillure pour administrer les sacrements ; que sa crosse pastorale symbolise la vigilance sur son troupeau ; que la croix portée devant lui signifie la victoire sur toutes les passions humaines. S’il pense à ces choses et à bien d’autres, ne vivra-t-il pas dans la tristesse et dans l’anxiété ? Aujourd’hui, tout au contraire, ces pasteurs ne font rien que se bien nourrir. Ils laissent le soin du troupeau au Christ lui-même, ou aux dénommés frères, ou à leurs vicaires. Ils oublient que leur nom d’évêque signifie labeur, vigilance, sollicitude. Ces qualités leur servent pour mettre la main sur l’argent, car c’est alors qu’ils ouvrent l’œil.


LVIII. — De même, les cardinaux pourraient songer qu’ils sont les successeurs des Apôtres, qui leur imposent de continuer leur apostolat, et qu’ils ne sont pas les possesseurs, mais les dispensateurs des biens spirituels, dont ils auront bientôt à rendre un compte rigoureux. S’ils philosophaient, si peu que ce fût, sur leur costume et se disaient : « Que signifie ce rochet, sinon la parfaite pureté des mœurs ? cette robe de pourpre, sinon le plus ardent amour de Dieu ? ce vaste manteau aux larges plis, qui couvre jusqu’à la mule du révérendissime et pourrait encore revêtir un chameau, sinon l’immense charité qui doit se répandre sur tous et subvenir à tous les besoins : instruire, exhorter, consoler, corriger, avertir, mettre fin aux guerres, résister aux mauvais princes, et sacrifier généreusement pour le troupeau du Christ non seulement ses richesses, mais son sang ? et qu’est-il besoin de richesses pour qui tient le rôle des pauvres Apôtres ? Si les cardinaux, dis-je, réfléchissaient à tout cela, loin d’ambitionner le rang qu’ils occupent, ils le quitteraient sans regret et préféreraient mener la vie de labeur et de dévouement qui fut celle des anciens Apôtres.


LIX. — Si les Souverains Pontifes, qui sont à la place du Christ, s’efforçaient de l’imiter dans sa pauvreté, ses travaux, sa sagesse, sa croix et son mépris de la vie, s’ils méditaient sur le nom de Pape, qui signifie Père, et sur le titre de Très-Saint qu’on leur donne, ne seraient-ils pas les plus malheureux des hommes ? Celui qui