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eût purgé l’Église, s’ils ne les avaient signalées sous les grands sceaux des universités ! Combien ils sont heureux, quand ils exercent cette activité, et lorsqu’ils décrivent minutieusement toutes les choses de l’Enfer, comme s’ils avaient passé des années au sein de cette république ; et lorsqu’ils fabriquent, à leur fantaisie, des sphères nouvelles, en ajoutant la plus étendue et la plus belle, afin que l’espace ne manque pas aux âmes bienheureuses pour se promener, banqueter ou jouer à la paume ! De telles sottises et mille autres semblables leur bourrent et farcissent le cerveau au point que celui de Jupiter était moins surchargé, lorsqu’il implora la hache de Vulcain pour accoucher de Pallas. Ne vous étonnez donc pas de les voir, aux jours de controverses publiques, la tête si serrée dans leur bonnet, puisque sans cela elle sauterait en éclats.

Je ris souvent, à part moi, en constatant de quelle façon ils établissent leur supériorité théologique. C’est à qui emploiera le langage le plus barbare et le plus grossier ; c’est à qui balbutiera au point de n’être entendu que par un bègue. Ils se disent profonds quand le public ne peut les suivre ; ils jugent même indigne des Lettres sacrées de plier leur style aux lois des grammairiens. Ce serait l’étrange prérogative des théologiens d’être seuls à parler incorrectement, s’ils ne la partageaient avec une foule de gens du peuple. Enfin, ils se croient voisins des Dieux, chaque fois qu’on les salue avec dévotion du titre de magister noster. Le mot, à leur avis, équivaut au tétragramme des Juifs ; aussi défendent-ils de l’écrire autrement qu’en majuscules et, si quelqu’un l’intervertissait en noster magister, il léserait assurément la majesté du nom théologique.


LIV. — Aussitôt après le bonheur des théologiens, vient celui des gens vulgairement appelés Religieux ou Moines, par une double désignation fausse, car la plupart sont fort loin de la religion et personne ne circule davantage en tous lieux que ces prétendus solitaires. Ils seraient, à mon sens, les plus malheureux des hommes, si je ne les secourais de mille manières. Leur espèce est universellement exécrée, au point que leur rencontre fortuite passe pour porter malheur, et pourtant ils ont d’eux-mêmes une opinion magnifique. Ils estiment que la plus haute piété est de ne rien savoir, pas même lire. Quand ils braient comme des ânes dans les églises, en